Attention remakes !

Trois hommes et un bébéPlagiat, imitation, copie conforme, vol manifeste ? Le remake est un art difficile. Mais un art tout de même, surtout quand on le revendique.., autant dire jamais. Et puis, proche du remake, il y a un phénomène nouveau qui s’appelle « l’américanisation ». C’est un phénomène récent qui tendrait à prouver qu’il existe un réel fossé culturel entre la France et les Etats-Unis : « Cousin-cousine » de Tacchela (1975) a donné « Cousins » (1989,) et la parenté se fait de plus en plus éloignée entre les deux films. Les stéréotypes de la petite bourgeoisie française passent difficilement les frontières. Remaniés façon middle-classes américaines, ils ne sont plus des stéréotypes mais des réalités ! « Trois hommes et un couffin » (1985) a donné « Trois hommes et un bébé » et si les personnages y sont moins caricaturaux, l’intrigue, elle, est mieux ficelée. A noter que la version américaine s’attarde moins sur les aspects pipi-caca que la version française puritanisme oblige… et que le film y perd en authenticité. Ces films étaient des succès dans leur pays d’origine, mais le public américain est loin d’être prêt à lire les sous-titres et ne supporte les doublages approximatifs que pour les films de kung-fu, ce qui en dit long sur le public visé. Il est tout juste prêt à accepter qu’il existe, ailleurs qu’aux Etats-Unis, une industrie du cinéma ! Alors, va pour l’américanisation. La recette loin d’être au point consiste à gommer les allusions culturelles et ne garder du scénario qu’un squelette. Autant dire qu’on court au désastre car si les squelettes d’Isabella Rossellini et de ma concierge de l’avenue Ledru-Rollin offrent des similitudes, c’est encore l’emballage qui donne du prix au cadeau comme dirait Lio ! Ça n’empêche pas Hollywood d’être à la recherche de ce qui se fait de mieux en matière de scénarios, et dans ce créneau, la France est en bonne position. Voyez plutôt Coline Serreau. Devenue en peu de temps la « mascotte » d’Hollywood, elle risque d’être la première réalisatrice française à y faire sa loi.

Trois hommes et un couffinEn 1985, « Trois hommes et un couffin » est acheté par les studios Disney et remanié à l’américaine. Cela donne « Trois hommes et un bébé » réalisé par Leonard Nimoy. Le film rapporte plus de 200 millions de dollars. Cela ne veut pas dire que Coline Serreau est ravie du résultat, mais peu importe puisque les studios Disney sont séduits par son dernier film « Romuald et Juliette » et l’ont engagée pour écrire et diriger le remake américain. Cela avant même que la copie française ne soit achevée. En attendant la sortie américaine de la version française (!), Coline Serreau vit à Santa Monica, révisant et adaptant le scénario en vue du remake qu’elle doit commencer à tourner cet été avec Richard Dreyfus dans le rôle principal (le rôle de la femme de ménage n’a pas encore été attribué). Des remakes de films « made in France », il y en a beaucoup: « Three fugitives » (Les fugitifs), « The man with one red shoe », « Breathless » (A bout de souffle, made in USA), pour ne citer que les plus célèbres. Sauf exception, la plupart de ces remakes américains manquent de punch une fois transposés de Paris à Seattle, New York ou San Francisco. A croire que les films français et américains reflètent une autre réalité, une réalité qui dépasse les décors et l’environnement. Dans un film français, un homme qui va et vient entre sa femme et sa maîtresse, ça ne pose pas de problème. Dans un film américain, on se doit d’analyser le comportement de l’homme ! Bien que peu disposée à critiquer les autres remakes français, Coline Serreau défend l’idée qu’il y ait un système d’écriture différent en France. « En France, la plupart des réalisateurs sont des écrivains, dit-elle, et ils sont complètement libres. Ils écrivent une histoire qui leur tient à cœur. A Hollywood, les gens écrivent des histoires qui peuvent faire du fric. » Comment expliquer le suc-cès de Coline Serreau aux Etats-Unis ? D’abord, « Trois hommes et un couffin » a remporté un succès international, pas seulement américain. Et malgré les chiffres du box-office, la version française et la version américaine n’ont reçu qu’un accueil modéré de la part des critiques. Mais Coline Serreau a su soulever une bonne question au moment propice : de plus en plus d’hommes s’occupent seuls de leurs enfants, le sujet fait la joie des talk-shows, le créneau est porteur.

Romuald et JulietteDe façon similaire, « Romuald et Juliette » (rebaptisé ici « Mama, there’s a man in your bed ») raconte une histoire au moins aussi pertinente aux Etats-Unis qu’en France : une histoire d’amour entre un « executive » et une femme de ménage noire. Coline Serreau avoue avoir eu l’idée de départ de ce scénario lorsqu’elle était à Los Angeles en train de travailler sur « Trois hommes et un bébé ». Racisme et conflit de classe sociale… encore un sujet porteur aux Etats-Unis comme en France… Coline Serreau, dans son rôle de « Frenchie à Hollywood », est une exception. Les réalisateurs américains n’hésitent pas à retourner à des films passés et à s’en inspirer : les complots, les personnages, même des lignes entières de dialogue sont réutilisées pour des raisons qui dépassent l’aspect pratique de la chose. En décembre dernier, à la sortie de « Always », Spielberg parle du profond impact que le film «A guy named Joe » (un honnête homme), le film de 1943 de Victor Fleming, a eu sur lui. « Always » reprend non seulement les mêmes personnages principaux, mais de nombreuses situations du film de 1943. Spielberg avait onze ans lorsqu’il a vu le film pour la première fois. L’idée de reprendre « A guy named Joe » date de 1974. Il faudra neuf ans à Spielberg pour finir le script initial et finir, ce film… « venu du cœur ». Dans une interview, il admet que le film de Fleming a touché son âme : « C’est le deuxième film qui m’ait jamais fait pleurer et qui ne parle pas d’une biche. » Rassurant ! « A guy named Joe » est un typique film de guerre. Un super-pilote de chasse (Spencer Tracy) est abattu la nuit où il promet enfin à sa petite amie d’arrêter de voler pour des missions dangereuses. Renvoyé d’outre-tombe comme une présence fantomatique pour guider et entraîner un pilote novice, il réalise que lui-même a beaucoup de choses à apprendre. Il doit renoncer à son amour pour Dunne afin qu’elle puisse avancer dans la vie et tomber de nouveau amoureuse. Ce film baignait dans un contexte de guerre. Son public était en partie constitué de femmes de soldats, de petites amies et de familles de combattants soit morts, soit au combat. Lorsque Spielberg voit le film la première fois, c’est hors contexte et c’est à la télévision dans les années 50. Dès lors, son remake est imprégné de sa vision du film dans ce contexte-là, qui est différent de celui de sa sortie, en pleine crise. Remake de « A guy named Joe »? Non. Remake de « A guy named Joe » vu par Spielberg à la télévision dans les années 50? Oui. A croire qu’il faudrait chercher la définition de « remake » dans un dictionnaire de psychanalyse. Samuel Goldwyn junior, qui vient de produire « Stella » avec Bette Midler, ne se souvient même pas de la première fois Où il a vu le film « Stella Dallas », le film que son propre père produisit deux fois, la première fois comme film muet en 1925, la deuxième fois comme film parlant en 1937. Agé aujourd’hui de soixante-trois ans, Sam junior justifie sa décision en disant qu’il s’agit d’une histoire émotionnelle, et que « les films émotionnels sont très difficiles à trouver de nos jours ».

A star is bornComme « A star is born » (Une étoile est née) (trois remakes), « Stella Dallas » a déjà passé le test des remakes. « Make it again, Sam » (traduction approximative : « Refais-le moi ») lui aurait suggéré à plusieurs reprises son père. Junior, qui n’avait jamais fait un remake de sa vie, a résisté, « repoussant l’idée d’année en année » jusqu’à ce qu’il se lance finalement dans le projet. En s’y attaquant, il rend hommage à son père, c’est en tout cas ce qu’il prétend. Un psychanalyste dirait qu’il attaque l’image même de ce père tout-puissant en révisant son œuvre. Interrogé sur le fait qu’il entre en compétition avec son père même disparu et que les « Stella » vont être comparés, Junior répond : «Je suis trop vieux pour ça. Quand vous faites un film, vous le faites parce que, premièrement, vous le voulez, et deuxièmement, vous espérez que le public suivra. Je pense que le vieux film est merveilleux. Mais le personnage de la fille y était un peu léger. Le personnage de la fille est beaucoup plus fort dans la version 1989 que dans la version de Stanwyck. » Psychologiquement, la relation père-fils est un facteur important du remake. On entre dans le domaine du challenge, de la compétition.

Rich and famousUne compétition qui existe aussi au niveau des acteurs. Dans le récent « Henry Va de Kenneth Branagh, Branagh défie Laurence Olivier… Et si Jessica Lange s’est surpassée dans le remake du « Facteur sonne toujours deux fois », c’est sans doute que l’ombre de la sublime Lana Turner planait sur le plateau. Un élément de nostalgie peut aussi accompagner le désir d’un réalisateur d’honorer une œuvre existante. En rajeunissant un film, il rend hommage à un travail durable. C’est une façon de voir comment certaines lignes s’inscrivent dans un nouveau contexte, qu’il s’agisse de décors, d’idées, de mode. Le film de George Cukor, de 1981, « Rich and famous » (Ri-ches et célèbres), avec Candice Bergen et Jacqueline Bisset, remet à jour le film de 1943 avec Bette Davis et Miriam Hopkins, « Old acquaintance » (L’impossible amour), qui ne pouvait, à l’époque, évidemment pas traiter du problème « stars des médias » et libération sexuelle typiquement sixties. Le film de Warren Beatty de 1978, « Le ciel peut attendre » ajoute un décor au film de 1941 « Here comes Mr Jordan » (Le défunt récalcitrant) et utilise le fait que le héros est un athlète pour se moquer de la tendance « saine et sportive » typiquement années 70. Le fait que « Stella Dallas » parle d’un parent célibataire a plus de portée aujourd’hui, pense Goldwyn junior, simplement parce que c’est une situation courante dans la société. Dans la série remakes-hommages, le film de Paul Mazursky « Willie and Phil » (1970), s’inspire directement de « Jules et Jim » de François Truffaut. Les héros de Mazursky se rendent à une projection de « Jules et Jim » et tombent ensuite amoureux d’une même femme. « Jules et Jim fait partie de ces films qui ont changé ma vision du cinéma, expliquait récemment Mazursky dans une interview, Truffaut était un des grands. Il a inspiré tout le monde. » Mais le réalisateur note que « Willie and Phil » bénéficie d’un traitement comique qui vise les problèmes de la libération sexuelle des années 70 alors que le film de Truffaut est « le plus romantique des films nihilistes… vous savez, la vie, la mort! » Pour Mazursky, il ne s’agit pas d’un remake mais d’un hommage. Quand Bob Rafelson réalise, en 1981, « Le facteur sonne toujours deux fois », il dit n’être pas inspiré par le film de Tay Garnett de 1946, mais par sa source : un roman policier de James M. Cain (qui a aussi fourni le scénario de « Mildred Pierce » (Le roman de Mildred Pierce). Rafelson dit avoir revisionné le film et avoir abandonné à la moitié en se disant : « Ils n’ont jamais lu le livre ». le film de Garnett se passe dans les années 40. Rafelson, lui, le replace en pleine dépression, comme dans le roman. Tous les arts passent par l’emprunt. On ne peut imaginer Mozart ou Beethoven sans passer par Haydn. Mais la ligne entre l’hommage et le dérivé, la copie et l’imitation peuvent parfois se révéler inconfortablement mince. «Je ne peux pas dire que « Always » soit un remake, dit Spielberg à propos de son m. Même si les personnages, le complot, et même certaines parties du dialogue du film de Fleming y sont présents ». « Willie and Phil » n’est d’aucune manière un remake de «Jules et Jim » et n’a jamais prétendu l’être », dit Mazursky. Même Rafelson nie le fait que « Le facteur sonne toujours deux fois » soit un remake. Paul Brickman, le réalisateur et co-auteur du récent « Men don’t leave » avec Jessica Lange se serait inspiré du film de 1980 de Moshe Mizrahi, « La vie continue », avec Annie Girardot. Mais le réalisateur affirme n’avoir jamais entendu parler de ce film. Le remake est un exercice de style difficile.

Un exercice d’humilité aussi. Certainement plus difficile à réaliser que d’ajouter une série de numéros à la queue d’un succès séquelles, vous avez dit séquelles ? — Mais les remakes sont mal vus.., et mal connus. Alors plutôt que d’annoncer la couleur, on emprunte par-ci, par-là, pour le pire ou le meilleur., on modernise, on américanise. La qualité des films s’en ressent. Si les metteurs en scène de théâtre faisaient autant de manières, on irait rarement au spectacle. Mais le théâtre ne rapporte pas, c’est bien connu, le théâtre est un art !

 

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