Dick Tracy à l’écran

Dick TracyDe 1937 à 1941, la Compagnie République produit quatre « serials » de quinze épisodes mettant en scène Dick Tracy : « Dick Tracy » (1937(, « Dick Tracy returns » (1938), « Dick Tracy’s G-Men » (1 939) et « Dick Tracy versus crime » (1941) redistribué plus tard sous le titre « Dick Tracy versus Phantom Empire ». Le détective y était incarné par Ralph Byrd qui fit carrière dans les films d’aventures. «Je considère que Ralph Byrd a été une excellente incarnation de Dick Tracy » écrit Gould en 1978. Après la guerre, en 1945, la RKO décide de reprendre le flambeau avec « Dick Tracy Detective » (1945) de William Berke et « Dick Tracy versus Cueball » (1946) de Gordon Douglas. Morgan Conway remplace ‘Ralph Byrd, mais a du mal à s’imposer. Comme on peut le lire dans « T.V. Mo vies » de Leonard Maltin : « Conway fait de son mieux, mais Byrd est le Tracy cinématographique définitif. » L’année suivante, Byrd incarne à nouveau Tracy dans « Dick Tracy’s dilem-na » et « Dick Tracy meets Gruesonne », tous deux signés John Rawlins. Malgré la prestation de « Gruesome » Boris Karloff, les deux films, fort médiocrement réalisés, ne connaissent pas le succès et la série s’arrête là. Ralph Byrd reprend pourtant du service en 1950 et 1951 dans cinq épisodes de 30 mn produits pour le petit écran. Mais la mort de Byrd, victime d’une crise cardiaque le 18 août 1952, interrompt cette nouvelle série. « En 1961, U.P.A. Pictures réconcilie enfin bande dessinée et cinéma en présentant à la télévision le « Dick Tracy Cartoon Show », précise Jean-Claude Romer (« Giff-Wiff », août 66), « une série de cent trente épisodes de cinq minutes dans laquelle apparaissent les personnages de Hemlock Holmes, Joe Jitsu, Strambled Yeggs, Heap O’Callory, série pour laquelle Chester Gould lui-même est engagé (il n’est jamais trop tard…) comme conseiller artistique ».

Laissons Gould lui-même conclure sur cette première vague de films pour le grand et le petit écran : « Chaque fois, il s’est agi de bons films d’une part, et d’une bonne source de revenus d’autre part. » Warren Beatty a découvert Dick Tracy dans son enfance. C’est pourquoi il a choisi de placer l’action de son film à cette époque. C’est une période de ma vie que j’aime beaucoup » dit-il. « Je dirais simplement qu’elle m’émeut. Juste avant la guerre, l’Amérique était en quelque sorte naïve en ce qui concerne les problèmes du Bien et du Mal, de la Loi et de l’Ordre. C’étaient les derniers jours d’innocence. Juste avant que le pays ne perde cette innocence. » Mais comment porter une bande dessinée à l’écran ? Les conventions du genre sont les suivantes : l’action est discontinue, le cadre ne bouge pas, les couleurs sont primaires, les personnages n’ont que deux dimensions et ils sont souvent caricaturaux. Pour les personnages secondaires c’est-à-dire les « méchants » Beatty décide d’avoir recours à des maquillages et à des prothèses. Mais pas pour les « héros ». « Personne ne peut ressembler au Dick Tracy de la bande dessinée et toucher le public comme il se doit dans ce genre de film » dit-il. « Il est très difficile de porter des maquillages grotesques et de garder l’attention du public. Le personnage est réduit à son apparence, et le public devient distrait. Ce n’est pas la même chose avec les « méchants ». Pour eux, ça fonctionne. Ça fonctionne particulièrement bien avec Al Pacino qui, dans le rôle de Big Boy Caprice, s’en donne à cœur joie. Il campe un gangster grimaçant et infâme, à faire pâlir de jalousie le Jack Nicholson de « Batman ». « Les personnages sont des stéréotypes » dit Milena Canonero, qui a dessiné les costumes, « aussi leur originalité dépend-elle de la façon dont on les présente. Si vous regardez les bandes dessinées originales en couleur, elles sont très simples.

Dick TracyCelles entre 1930 et le début des années 40 utilisent cinq à six couleurs, pas plus. Je me suis limitée à ces couleurs. Et j’ai essayé de rendre les personnages un peu plus intéressants en soignant leur coiffure, leur cravate, tout ce que je pouvais trouver. » C’est donc par la couleur, plus que par la caractérisation des personnages, que Warren Beatty a essayé d’être fidèle à l’esprit du comic-strip, tout en pouvant ajouter une dimension émotionnelle aux personnages principaux. A sa demande, Milena Canonero a réduit sa palette, pour les costumes (et Richard Sylbert pour les décors) à une dizaine de couleurs de base : rouge, rose, orange, jaune, vert, bleu, violet, indigo, noir et blanc. Chaque bleu utilisé dans le film est toujours le même. Tous les jaunes sont celui du costume de Dick Tracy. « Parfois les matériaux utilisés réagissent différemment à la lumière » dit Milena Canonero. « Il peut paraître des nuances. Mais, en fait, il n’y a que ces dix couleurs. Il n’y a pas de marron, pas de gris. » Résultat : tout est stylisé à l’extrême, comme purifié. Nous sommes dans un univers légèrement décalé par rapport au monde réel. Un univers qui n’est pas non plus celui de la comédie musicale. C’est l’univers « Dick Tracy », qu’a bien reconnu la fille de Chester Gould (celui-ci est mort en mai 1985, à l’âge de quatre-vingt-quatre ans). Il faut dire que pour mener à bien son projet, Warren Beatty s’est entouré d’une équipe de choc : Richard Sylbert aux décors, Vittorio Storaro (« Apocalypse Now ») à la photographie, Milena Canonero aux costumes et… Madonna chantant Stephen Sondheim. Les gens impliqués dans « Dick Tracy » ont totalisé jusqu’ici, ensemble, soixante-trois nominations aux Oscars. Beatty lui-même a été sélectionné quatre fois, et dans différentes catégories, pour « Reds » et « Le ciel peut attendre ». Quant aux personnages principaux, qui devraient être multidimensionnels, Beatty ne s’est pas trompé en choisissant sa compagne du moment, Madonna.

Elle symbolise le sexe en chanteuse de boîte de nuit, elle est une blonde platinée mythique (passe le fantôme de Jean Harlow). En robe, vertigineusement décolletée, elle est l’héroïne idéale du roman noir, intouchable et vulnérable à la fois. Ce qui pourrait être résumé par sa réplique la plus sublime : « Je ne te demande pas de coucher avec moi. Je te demande de me dire que tu en as envie. » Dick Tracy est un drôle de mélange. Il joue le « look » tout en s’en méfiant : il fait côtoyer caricature et sentiments vrais ; il joue sur la distance tout en tablant sur l’émotion. « Je suppose que l’expérience a dû être schizophrénique pour Beatty », dit le monteur Richard Marks. Parfois, quand nous regardions ensemble une séquence, je ne savais plus si je devais l’appeler Dick ou Warren. » Laissons le mot de la fin à Madonna : « Dick Tracy est un solitaire. Quelqu’un de très intelligent. C’est aussi un flic. Warren est tâtillon comme un flic et vérifie tout, depuis vos chaussures jusqu’à vos mèches de cheveux. Il étudie les gens intensément. Il vous soutire ce qu’il veut. Et après avoir tout déballé, vous vous rendez compte que vous avez tout dit à ce parfait étranger sans que lui ne vous dise rien. Et il fait tout cela en vous mettant à l’aise. Il vous séduit pour que vous lui déballiez tout. Je crois donc devoir dire que c’est un séducteur. Mon personnage, Breathless, l’aime beaucoup. Moi aussi.»

 

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